Le conte de la petite fille qui avait une très grande peur d’être abandonnée

 

Le conte de la petite fille qui avait une très grande peur d'être abandonnéeIl était une fois une petite fille qui avait peur d’être abandonnée

Déjà toute petite, interrogeait souvent son papa :

– Comment suis-je arrivée dans cette famille papa ?

Et son père lui répondait très sérieusement :

– Ta mère voulait un enfant alors je suis allé te chercher au magasin des bébés. Il n’en restait plus qu’un. Personne n’en avait voulu, sans doute.

Il était là à nous attendre sur une étagère, tout au fond du magasin, c’était toi. J’ai pas eu le choix. Il y avait des gitans, qui sont arrivés après moi et qui voulaient aussi un bébé. Si je ne t’avais pas prise, ils t’auraient achetée, car je crois qu’il voulaient une fille, eux.

La petite avait cru longtemps à cette histoire, que le père racontait sans dire.

Elle demandait de temps en temps :

– Tu crois que si je suis restée sur l’étagère, c’est parce que personne ne voulait de moi ?

Elle espérait, tout au fond d’elle, que son père lui dirait en riant :

– Mais non, c’était bien toi que je voulais et personne d’autre.

Mais il répondait, évasif, songeur :

– Je ne sais pas, moi, le fait est qu’il ne restait plus de bébé ce jour-là. Tu étais la seule sur l’étagère, je me rappelle bien…

Elle éprouvait, bien caché en elle, un sentiment mélangé de colère contre ce papa qui aurait dû venir plus tôt la chercher, et de reconnaissance aussi pour ce papa qui ne l’avait pas laissée au magasin… toute seule, avec peut-être des gitans qui l’auraient pris !

Quelquefois, son père ajoutait :

– Et d’ailleurs si tu n’es pas sage, si tu ne travailles pas bien en classe, je te ramène au magasin. J’en choisirai un autre, ils ont peut-être du choix aujourd’hui !

Cette phrase avait été terrible pour elle, elle lui donnait un sentiment douloureux qu’elle pourrait être rejetée, abandonnée. Qu’elle avait été choisie faut de mieux. Et que si ceux qui étaient susceptibles de l’aimer… trouvaient mieux, alors ils l’abandonneraient.

Bien sûr, plus tard elle avait appris d’où viennent les bébés. Que son arrivée dans sa famille ne s’était pas passée comme cela. Mais tout au fond d’elle, la blessure restait, secrète, vivace.

Pour se défendre de souffrir, elle s’était donné à dix-huit ans une maxime : “Etre amoureuse, c’est être malheureuse !”

Devenue femme, elle avait vécu beaucoup d’abandons

Dans ses rencontres avec les hommes. Car elle s’arrangeait pour ne pas s’attacher, pour ne pas être amoureuse. Aujourd’hui encore, à quarante ans, elle avait beaucoup de mail à établir une relations stable, profonde, elle hésitait toujours… de peur d’être rejetée, abandonnée, “renvoyée au magasin”.

Un jour elle décida d’envoyer ce petit conte à son père. Elle hésita plusieurs jours, car il était âgé et elle ne voulait pas le blesser ! Mais elle l’envoya quand même en espérant qu’il entende le message.

Nous ne savons pas comment le père découvrit après tant d’années que son récit du “magasin des bébés” avait blessé profondément sa petite fille.

Ce que nous savons, c’est que quelques temps après elle rencontre un homme avec lequel elle se sentit si confiante qu’elle n’eut plus jamais peur… d’être ramenée au magasin des bébés.

Jacques Salomé

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